Ville de Lyon, Métropole de Lyon : deux institutions, quels rôles, quelles frontières ?

11 juin 2025

Comprendre la complexité institutionnelle lyonnaise

Pour beaucoup d’habitants, la gouvernance de Lyon apparaît comme un millefeuille administratif dont les responsabilités et les compétences se chevauchent ou semblent parfois obscures. Est-ce la Ville ou la Métropole qui gère vos ordures ménagères ? Qui décide de la création d’une nouvelle ligne de tramway ou de la rénovation d’une crèche ? La réponse dépend souvent d’un partage précis des tâches, hérité d’une histoire institutionnelle complexe, mais aussi d’évolutions récentes uniques en France.

Lyon, capitale historique et collectivité territoriale

La Ville de Lyon, l’une des plus anciennes cités de France, est une commune au sens strict du Code général des collectivités territoriales (CGCT). Avec ses 522 969 habitants selon l’Insee (2021), elle est aujourd’hui la troisième commune de France par sa population, derrière Paris et Marseille.

Son maire — Grégory Doucet au moment où j’écris ces lignes (2024) — préside un conseil municipal élu tous les six ans qui exerce des compétences, en particulier sur :

  • L’état civil : naissances, mariages, décès.
  • L’action sociale directe : centres communaux d’action sociale (CCAS).
  • Crèches et écoles maternelles et élémentaires.
  • Police municipale et sécurité de proximité.
  • Culture via la gestion des bibliothèques, musées municipaux, événements locaux.
  • Urbanisme de proximité (permis de construire, déclaration de travaux... sous réserve d’interactions avec la Métropole).

Mais ce socle communal, en apparence classique, se trouve singulièrement redéfini par la présence, depuis 2015, d’une institution inédite : la Métropole de Lyon.

Une Métropole unique en France : naissance, organisation, étendue

La Métropole de Lyon, créée le 1er janvier 2015, résulte d’une loi spécifique (loi MAPTAM de 2014) qui l’a substituée à la fois à l’ancien Grand Lyon (communauté urbaine) et au conseil général sur le territoire de 59 communes, dont la Ville de Lyon elle-même. C’est un cas unique, car nulle part ailleurs une Métropole ne cumule autant de compétences, y compris celles qui relèvent habituellement du département.

Son périmètre englobe :

  • La Ville de Lyon (arrondissements 1 à 9)
  • 58 autres communes, de Villeurbanne (2e ville du territoire) à Saint-Fons, en passant par Caluire-et-Cuire, Bron, Écully, etc.

En chiffres, la Métropole de Lyon compte 1,411 million d’habitants, selon l’Insee (2021), et s’étire sur 538 km² — c’est plus de deux fois la surface de Paris.

Son conseil, élu au suffrage universel direct en même temps que les élections municipales (une particularité rare), exerce des compétences stratégiques et de proximité, là où, ailleurs en France, elles sont partagées entre commune, communauté urbaine et département.

Répartition des compétences : qui fait quoi ?

Si l’on devait schématiser, la Ville de Lyon conserve le pilotage du quotidien au plus près des habitants, tandis que la Métropole porte les missions structurantes, voire la redistribution et la solidarité à grande échelle. Mais le diable se cache dans le détail : les transferts de compétences entre les deux institutions sont nombreux, parfois subtils.

L’essentiel des attributions de la Ville de Lyon

  • Affaires scolaires (écoles primaires) : gestion des bâtiments, cantines, activités périscolaires.
  • Vie associative locale, animation de quartier.
  • Événements municipaux (fête des Lumières restant emblématique).
  • Entretien de certains espaces verts, jardins de proximité.
  • État civil et élections (listes électorales, organisation des scrutins sur son territoire).
  • Petite enfance : gestion des crèches municipales.

Celles de la Métropole de Lyon

  • Urbanisme stratégique : élaboration et gestion du PLU-H (plan local d’urbanisme et de l’habitat).
  • Voirie et mobilités : tramways, métros, vélos en libre-service (Vélo’V), transport public (en lien avec SYTRAL Mobilités).
  • Gestion des déchets et propreté urbaine.
  • Politique du logement social et privé, grands programmes de rénovation urbaine (par exemple, la Confluence, Carré de Soie...)
  • Action sociale à l’échelle métropolitaine : protection de l’enfance, insertion professionnelle (remplaçant quasiment la fonction du département).
  • Aménagement économique : développement des zones d’activités.
  • Politique de l’eau et de l’assainissement.
  • Gestion des collèges (la Ville garde les écoles primaires, la Métropole gère les collèges publics).

Un partage parfois difficile à suivre...

À titre d’exemple : la rénovation d’un square relève-t-elle de la Ville de Lyon ou de la Métropole ? Tout dépend du statut du lieu et de la nature des travaux : la ville intervient pour l’entretien courant ; la Métropole si c’est un aménagement d’envergure ou si cela touche une question relevant du plan d’urbanisme. La propreté des rues, elle, relève désormais clairement de la Métropole, alors qu’auparavant c’était la Ville... Sujet de nombreux débats lors de la “reprise métropolitaine” en 2015 (Rue89Lyon, voir article).

Des questions semblables se posent au sujet de la gestion des équipements sportifs, de la police, ou de la solidarité sociale entre communes.

Organisation politique et singularités lyonnaises

L’une des grandes particularités de Lyon tient aussi à l’existence de ses 9 arrondissements, à l’image de Paris ou de Marseille, avec des mairies d’arrondissement dotées de conseils propres, mais sans pouvoirs réglementaires approfondis. Cette stratification favorise la proximité, mais complexifie encore la lecture pour le citoyen :

  • Les conseillers d’arrondissement sont élus sur les mêmes listes que celles du conseil municipal.
  • Ils gèrent certaines délégations (concertation locale, gestion courante de bâtiments, nouveaux noms de rues, etc.).
  • Pour l’essentiel, l’arrondissement “remonte” les besoins à la mairie centrale, qui elle dialogue avec la Métropole.

Ce modèle “tripartite” (Métropole – Ville – Arrondissements) est lisible dans peu de grandes villes françaises et explique en partie le sentiment de complexité ressenti par les Lyonnais.

À une autre échelle, la Métropole se distingue aussi par son mode de gouvernance : le conseil métropolitain de 150 membres est élu directement depuis 2020, une première en France dans ce format, quitte à créer une “super-commune” dont beaucoup dénoncent le pouvoir hégémonique (voir La Croix).

Lyon dans la dynamique métropolitaine : chiffres et projets

La Métropole de Lyon concentre à elle seule :

  • 87% des emplois industriels du Rhône.
  • Un réseau de près de 500 km de pistes cyclables, en augmentation de plus de 70% depuis 2015 (source : Métropole de Lyon, bilan 2021).
  • Près de 250 000 élèves scolarisés dans les écoles, collèges et lycées du territoire métropolitain.
  • Environ 6 millions de tonnes de déchets collectés chaque année sur le territoire métropolitain (chiffre Métropole 2022).
  • Un effort d’investissement de plus d’1,4 milliard d’euros en 2022 (budget Métropole, rapport budgetaire).

La Ville de Lyon, pour sa part, a voté en 2023 un budget principal de 876 millions d’euros, soit presque le double du budget d’une grande ville comme Nantes, mais bien moins que la Métropole transversale à tout le territoire lyonnais (Source : Ville de Lyon, rapport de budget).

Côté projets, la Métropole pilote la transformation massive de la Part-Dieu (premier quartier d’affaires tertiaire après La Défense), le renouveau des quartiers populaires (Mermoz, Duchère), mais aussi la lutte contre les îlots de chaleur urbains, l’habitat social, et la politique zéro artificialisation nette des sols.

Pourquoi cette organisation ? Brèves perspectives historiques

Le cas lyonnais n’est pas le fruit du hasard. Historiquement, la puissance de la Ville de Lyon, puis celle de l’ancien Grand Lyon, a souvent servi de laboratoire national :

  • En 1831, la création d’arrondissements visait à mieux intégrer les faubourgs.
  • En 1969, la communauté urbaine de Lyon (devenue Grand Lyon en 1999) a permis une mutualisation des moyens pour l’urbanisation galopante.
  • La création de la Métropole en 2015, réclamée par Gérard Collomb et les milieux économiques, a été pensée pour offrir à Lyon une taille critique sur les enjeux mondiaux et concurrencer d’autres grandes aires urbaines.

Cette singularité n’est toutefois pas figée. Le partage ville-métropole fait régulièrement l’objet de débats : certains plaident pour un retour de certaines missions à la commune, d’autres pour un renforcement d’une “gouvernance de projet” (cf. Libération), surtout sur les transitions écologiques et sociales où articulation des échelles est clé.

Agir, s’informer, participer : comment naviguer entre les deux institutions ?

Pour les citoyennes et citoyens, comprendre vers qui se tourner pour un problème ou une initiative reste une question concrète. Dans la pratique :

  1. Pour les doléances sur la propreté, les grands chantiers de voirie, la collecte des déchets : la Métropole (Contact Métropole de Lyon).
  2. Pour inscrire un enfant à la cantine, signaler un arbre dangereux dans une école, obtenir une carte d’identité : la Ville de Lyon (Services municipaux).
  3. Pour les débats sur la piétonnisation, les budgets participatifs, les conseils de quartier : souvent à l’initiative de la Ville (parfois en lien avec la Métropole).
  4. Pour les projets urbains majeurs, les politiques de logement ou d’économie sociale et solidaire métropolitaine : Métropole.
  5. L’arrondissement reste le relais de proximité, notamment pour remonter les besoins et attentes à la mairie centrale.

Des outils comme le site Guide des démarches ou la plateforme participative de la Métropole (Je participe) permettent aujourd’hui de mieux orienter les citoyens.

Vers toujours plus de clarté ?

La coexistence, parfois frustrante, de la Ville de Lyon et de la Métropole traduit une ambition politique et démocratique : parvenir à conjuguer la proximité du quartier et la puissance d’une métropole européenne de plus d’1,4 million d’habitants. C’est une aventure institutionnelle qui invite à la vigilance citoyenne, à l’engagement, mais aussi à interpeller régulièrement nos élus pour améliorer la transparence sur les compétences, clarifier les interfaces et renforcer la participation de toutes et tous. La frontière entre Ville et Métropole de Lyon reste mouvante, mais comprendre ses contours, c’est déjà mieux peser dans la vie locale et dans le destin collectif de notre territoire.

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